16 octobre 2025

68 942(*) voitures en circulation pour 257 km de routes à Tahiti

0

Parmi les dossiers débattus lors de la troisième séance de la session budgétaire à l’assemblée de la Polynésie française, la représentation territoriale s’est penchée sur le rapport définitif de la Chambre territoriale des comptes (CTC) sur la politique du Pays en matière de transports terrestres durant la période 2020 et suivants. Voici l’analyse intégrale de Joëlle Frébault, par ailleurs maire de Hiva Oa, pour le compte du groupe Tapura huiraatira.

Derrière l’image paradisiaque que nous renvoient à l’international, les îles polynésiennes peuplées de sublimes vahine se prélassant sur des plages de sable blanc bordées de cocotiers, la Chambre territoriale des comptes présente en introduction de son rapport définitif sur la politique des transports terrestres menée pour les exercices 2020 et suivants, un tableau autrement moins rêveur. Et de partir du seul constat dressé en 2005 dans les Cahier d’Outre-Mer par un certain Olivier Bon, selon lequel, je le cite : « Le touriste en partance pour Tahiti […] ne peut pas imaginer que son futur séjour sera ponctué par de nombreux et monstrueux embouteillages qui rythment la vie quotidienne des habitants de l’île ».

 Alors oui, bienvenue dans le monde réel: Tahiti, à elle seule, concentre 70% de la population polynésienne, soit l’équivalent de 191 532 habitants qui ont majoritairement établi leur foyer dans l’agglomération urbaine entre Mahina et Paea. Une urbanisation hyper concentrée, aggravée de surcroît par un modèle basé sur la voiture individuelle. Résultat : les 257 km du réseau routier tahitien semblent bien dérisoires au regard du nombre de voitures en circulation estimé à 68 942 en 2022, un chiffre en hausse de 5,6% par rapport au recensement de 2017. D’où une « congestion routière chronique » dont l’ampleur et la gravité sont pointées du doigt par les magistrats de la CTC tout au long de ce rapport de 66 pages avec, à la clé, pas moins de huit recommandations.

De tout temps, les Polynésiens, comme d’ailleurs beaucoup d’îliens dans d’autres départements et territoires français d’outre-mer, ont montré un attachement fort à la voiture, qu’il s’agisse du gros tout-terrain ou de la Berline de luxe, considérée comme un facteur d’élévation sociale. C’est quelque part la preuve que l’on a réussi dans sa vie professionnelle…

Mais si « plus de 82% des ménages à Tahiti possèdent au moins une voiture » avec tout ce que cela implique en termes de dépenses d’entretien évaluées à 517 000 Fcfp par an tel qu’il ressort de la dernière étude sur le budget des Familles, il y a aussi une autre frange de la population, jeunes comme retraités, qui aspire à se déplacer autrement et surtout, à moindre coût.

Dans ce cadre, la CTC rappelle l’adoption en 2017 du schéma directeur des transports collectifs et déplacements durables dont les objectifs ont d’ailleurs été repris par le Schéma d’aménagement général de notre collectivité. A savoir, transformer les mobilités à l’horizon 2035, dans la perspective futuriste, je dirai, d’une ligne de transport en commun en site propre reliant Arue à Punaauia. Elle souligne par ailleurs que le Pays consacre beaucoup d’argent, 2 milliards par an en moyenne, pour financer le transport terrestre régulier ainsi que le transport scolaire dont plus de 16 000 élèves du 1er et second degré bénéficient gratuitement.

Aussi, nous sommes tous bien conscients qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir et des mentalités à faire évoluer, pour reléguer la voiture au second plan…A commencer par rendre plus perfectible notre service de transport en commun régulier. Quant à son accessibilité, il laisse encore à désirer, notamment lorsqu’on apprend que seulement 10% des bus – sur les 240 actuellement en circulation – disposent d’un plancher bas pour faciliter l’accueil des personnes en fauteuil roulant. La Chambre remarque également qu’il n’existe pas de desserte au départ de Tahiti-Faa’a, ni de connexion entre l’aéroport international et la gare maritime de Papeete. Un comble pour une destination qui se veut touristique… Raison pour laquelle, l’accroissement de la fréquentation journalière de 15 000 à 20 000 usagers d’ici à 2030 lui paraît d’ores et déjà un objectif très ambitieux.

Il faut reconnaître que notre jeune et bouillonnant ministre de l’Equipement ne ménage pas sa peine pour tenter de résorber les bouchons. Mais son hyper-activité n’est pas toujours couronnée de succès ! Prenons le cas de la plateforme de covoiturage annoncée dans le ROB 2024 grâce au développement d’une application mobile Wigo chèrement payée sur les deniers publics. Au-delà des difficultés techniques rencontrées par la société, les résultats sont encore faibles, souligne la CTC. Seulement 831 trajets recensés en mars 2025 alors que l’objectif mensuel est de 5000. La conclusion des magistrats est cinglante: « Il appartiendra à la Polynésie française de produire le bilan de la pertinence de cette application ».

Par ailleurs, à défaut de partager leurs voitures avec un inconnu, les Polynésiens pourront toujours se mettre à pédaler. Une reconversion aussi utile pour la planète que bonne pour la santé ! A cette fin, un programme de réalisation de 15 km de pistes cyclables est à l’étude. Il est également envisagé de mettre en place, à Papeete je suppose ( ?), un service de location de vélos longue durée. Il est question de 120 vélos à assistance électrique (VAE) d’ici à la fin de l’année. Et 500 d’ici 2028. Le ministre pourrait-il nous en dire quelques mots…

En revanche, la Chambre territoriale des comptes regrette l’absence de politique d’électrification du parc automobile, pourtant prévu dans le Code de l’énergie. En 2024, 79,5% des véhicules neufs immatriculés étaient thermiques contre 2,5% électrique et 18% hybrides. Comment pourrait-il en être autrement depuis le coup de rabot fiscal infligé par le gouvernement Brotherson sur l’achat de voitures hybrides et électriques ? Et je ne parle même pas du déploiement des infrastructures de recharge (IRVE) qui tarde à voir le jour malgré l’adoption d’un dispositif incitatif il y a plus d’un an.

Enfin, la CTC recommande à la collectivité de s’engager résolument dans une évaluation des mécanismes de soutien aux prix des hydrocarbures et notamment d’adopter, dès 2026, le projet de révision du FRPH. Un mécanisme qui, on le sait, a l’avantage d’amortir la variation des cours mondiaux du pétrole, rendant ainsi le prix des carburants moins élevé qu’ailleurs. Sauf qu’au-delà de l’effet dissuasif que cela engendre sur le développement de solutions alternatives, le FRPH aura quand même coûté à la collectivité, c’est à dire à nous tous, la bagatelle de 13 milliards 300 millions de Fcfp entre 2022 et 2024.

(*) chiffre de 2022

Loading

Laisser un commentaire