Exit le 29 juin, vive l’abondance du 20 novembre !

La date du 29 juin, et en particulier celle de l’année 1880, constitue à n’en pas douter un souvenir douloureux, presque obsédant, pour la plupart des cadres du parti Tavini huiraatira tant elle symbolise l’annexion de la Polynésie par la France. Raison pour laquelle le gouvernement Brotherson a décidé d’instituer la date du 20 novembre comme nouveau jour férié, correspondant à Matari’i, la fête de l’abondance, à la place du 29 juin, célébrée jusqu’ici comme la fête de l’autonomie interne.
En réaction, le président du groupe Tapura huiraatira à l’assemblée de la Polynésie française, Edouard Fritch, a exprimé devant la représentation territoriale tout ce que cela lui inspire.
« Pour faire plaisir à certains, le 29 juin va disparaitre du calendrier officiel des commémorations au profit du 20 novembre.
Depuis le début, le Tavini Huiraatira a pris le parti de dénoncer la célébration du 29 juin, célébration qui marque pourtant une étape institutionnelle importante dans l’histoire contemporaine de la Polynésie française, qu’on le veuille ou non. Par une gymnastique intellectuelle machiavélique, le Tavini a accolé cette date à l’annexion de notre pays à la France en 1880, vécue plus de 100 ans après comme une dépossession et un jour de deuil.
Ce choix n’est pas neutre ! c’est une instrumentalisation politique qui prétend défendre la mémoire tout en la manipulant. Il ne pacifie pas. Il ne soigne pas. Il ne réconcilie pas. Il est fait pour diviser.
Et pour contenter certains Ayatollahs révisionnistes, le gouvernement a donc décidé de supprimer cette date du calendrier commémoratif.
Pourtant, après avoir consulté les associations culturelles qui célèbrent depuis longtemps Matari’i-‘i-Ni’a, le gouvernement Tapura avait déjà proposé dans une communication en Conseil des Ministres le 17 juin 2022, de rajouter au calendrier cette date du 20 novembre. Pas de les opposer.
En apparence, il ne s’agit que d’un changement de date. En réalité, c’est un choix politique lourd de sens : celui de préférer s’attaquer aux symboles plutôt qu’aux solutions.
Ce débat ne serait pas en soi problématique s’il ne servait pas à masquer l’inaction sur tous les autres fronts. Il est en effet tellement plus facile de démolir une date que de construire des solutions. Plus commode de rejouer des conflits historiques que de s’attaquer aux fractures actuelles. Plus simple de raviver des batailles mémorielles plutôt que de faire face aux urgences concrètes de la population en entretenant une bataille idéologique sur le sens du 29 juin.
Pire encore : il crée une fausse opposition entre mémoire et action, comme si nous devions choisir entre regarder notre passé ou construire notre avenir. C’est une impasse ! Car une mémoire qui exclut ou qui impose est une mémoire fragilisée. Et un avenir construit sur le déni ou l’effacement est un avenir instable.
Les polynésiens attendent des actes, pas des incantations. Car pendant que certains réécrivent le passé, les Polynésiens, eux, vivent le présent — et il est de plus en plus difficile. Le coût de la vie augmente toujours et laisse le gouvernement sans solution : voilà la réalité.
Changer une date n’a jamais rempli un frigo. Supprimer une cérémonie n’a jamais soulagé une famille dans le besoin. Ce geste ne coûte rien, mais il ne rapporte rien. Il donne l’illusion d’agir, sans rien changer au quotidien.
Gouverner, ce n’est pas réécrire l’histoire, c’est hiérarchiser les priorités. Gouverner, c’est améliorer les conditions de vie. C’est affronter le réel, pas le fuir dans des querelles de symboles.
Gouverner, c’est faire des choix au service de la population, pas de sa propre posture idéologique. C’est entendre la souffrance sociale, pas occuper l’espace médiatique avec des polémiques stériles.
On ne construit pas une société digne sur la frustration, la réécriture ou la vengeance. On la construit sur la vérité, la justice sociale, la mémoire partagée — et surtout, sur des politiques courageuses.
Assez de cette mise en scène. L’histoire mérite mieux que d’être réduite à une arme politique. Elle mérite d’être connue dans sa complexité, dans toutes ses voix, sans qu’aucune ne soit effacée ou sacralisée.
Imposer une seule version de l’histoire, c’est nier la complexité des faits et la richesse des mémoires. La vérité historique est multiple. Elle mérite d’être entendue dans toute sa diversité.
Réduire nos ancêtres à des spectateurs passifs de leur propre histoire, c’est trahir leur mémoire. Ils ont fait des choix, parfois difficiles, dans un contexte colonial complexe.
Le 29 juin 1880, ce fut aussi la décision d’un Arii et de 9 Chefs importants, dont celui de Faa’a. Reconnaître cela ne doit pas effacer les luttes pour l’autonomie ou la souveraineté, mais ouvrir la voie à un dialogue respectueux, qui honore toutes les voix de notre histoire.
Aujourd’hui, nous dénonçons le choix du gouvernement : celui de la facilité contre le courage, de la division contre l’unité, de l’agitation symbolique contre l’action concrète. »