Premier contact avec les participants potentiels à la Table ronde sur le nucléaire

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Le président du Pays, Edouard Fritch, a prononcé une allocution lors de la réunion préparatoire de la Table ronde de haut niveau sur le fait nucléaire qui doit se réunir dans les semaines qui viennent à Paris.

Chers Amis,

Monsieur le Ministre, permettez-moi en premier lieu d’accueillir chaleureusement les personnes que j’ai invité à cette rencontre avec vous et qui ont répondu présentes. Je les en remercie sincèrement. Je salue leur esprit de dialogue.

Jeudi, le matin de votre arrivée à Tahiti, alors que vous étiez encore en vol, je m’exprimais à l’assemblée de la Polynésie française. A l’adresse de ceux qui avait déjà publiquement indiqué qu’ils rejetaient l’idée d’une présence à la table ronde, je disais ma compréhension de ces réactions à chaud en ces termes : « On n’efface pas d’un revers de main soixante ans de propagande d’Etat, de dénis, d’intimidation, de mépris et d’arrogance même parfois. ».

Je réitérais mon invitation au dialogue. Et j’avais bon espoir d’être entendu car : « nous sommes les femmes et les hommes du grand Océan. Nous savons faire preuve de courage et d’audace. Nous savons aussi faire preuve de patience et d’humilité dans les moments difficiles ». C’est le Pacific Way.

Chers invités, je m’adresse particulièrement à ceux qui ont surmonté un premier mouvement de rejet, merci encore d’être là cet après-midi.

D’autres ont fait le pas inverse. Après avoir répondu favorablement à mon invitation, elles se sont finalement retirées de cet instant de dialogue et de recherche de vérité. Je ne désespère pas pour autant que les esprits évolueront. Je suis un homme de foi et à ce titre, je crois au fait que la vérité finira toujours par triompher.

Dans mon courrier d’invitation j’ai formulé le vœu que cette occasion nous offre la possibilité de dégager ensemble les grandes lignes thématiques qu’il sera nécessaire d’aborder à la Table Ronde de Haut Niveau que le Président de la République présidera lui-même sur deux jours, fin juin 2021 à Paris.

Dans cet esprit et au regard des enjeux majeurs que porte en elle cette rencontre, je réitère ce vœu et je demande instamment, qu’ici, à cet instant, autour de cette table, chacun s’exprime librement, et avec toute la force de ses convictions aussi divergentes soient-elles les unes des autres.

Nos diversités sont une richesse.

Nous sommes portés par le sens des responsabilités et par la préoccupation du bien commun de tous les Polynésiens et de leur avenir.

Monsieur le Ministre, le livre Toxique n’a rien appris à tous ceux qui sont assis là devant vous. Il est vrai, cependant, que cet objet et son écho sur les places publiques locale et nationale, nous ont montré à quel point le sujet qui nous rassemble ici est d’une extrême sensibilité pour tous.

Cela fait des années que nous sommes au courant des retombées, sur les communes Gambier, Tureia, Reao principalement, dès le premier tir Aldébaran, le 2 juillet 1966, mais aussi sur les autres archipels et sur l’île de Tahiti en juillet 1974.

Pendant longtemps « on » (j’utilise à dessein le pronom indéfini) on avait tenté de nous occulter ces réalités.

Ce sont principalement les mouvements militants, qui par les recherches opiniâtres, et même héroïques, de certains de leurs membres, ont fini par obtenir les preuves de ces faits.

L’Etat, de diverses manières disparates et diffuses, l’a finalement reconnu. Citons la loi Morin, évidemment ; le discours de François Hollande à Papeete le 22 février 2016, des rapports officiels et bien d’autres sources régulièrement rappelées.

J’indique un exemple, peu connu dans ses fondements, et pourtant dans l’actualité vive du sujet : la convention signée entre l’Etat et le Pays (Gaston Tong Sang) le 30 août 2007 « relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du CEP et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. »

Cet engagement bipartite découle de recommandations du comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, particulièrement sa séance de mai 2007. L’Etat et le Pays s’y fixent comme objectif commun « la mise en place d’une structure médicale spécifique destinée à proposer [aux populations précitées] un bilan de santé individuel gratuit afin de répondre aux inquiétudes sur l’éventuelle présence, dans ces populations, de pathologies susceptibles d’avoir été causées par l’exposition à des retombées radioactives consécutives aux essais nucléaires ».

Cette convention est toujours en vigueur. La structure médicale spécifique n’est autre que le centre médical de suivi, rattaché, comme spécifié dans ladite convention, à la direction de la santé du Pays et sous l’autorité de sa directrice.

Nous savons tous, Monsieur le Ministre, que nous avons été exposés à des retombées radioactives liées aux tirs atomiques aériens. Je peux vous assurer que nous avons été très secoués, chacun à notre tour, lorsque nous avons dû admettre que notre confiance avait été flouée. Je vous laisse imaginer l’incompréhension, la frustration, la déception, la colère ; toutes ces émotions nous ont envahis les uns et les autres, selon des variations personnelles, à la mesure de nos attachements ou de nos réticences à l’égard de la France. Elles sont toujours aussi vivaces.

Le fait nucléaire en Polynésie ne se limite pas aux émotions. Nous sommes là pour dépasser nos rancœurs, nos inquiétudes et nos réserves. Nous choisissons de faire cet effort pour rendre possible l’avenir.

Nous sommes là pour en parler.

Les deux dimensions, passé et futur, sont indissociables. Nos volontés doivent faire une pour dépasser ensemble notre passé nucléaire sans risquer de gâcher la chance historique que nous offre cette prochaine table ronde de haut niveau.

Dès maintenant, organisons-nous pour structurer les travaux de la table ronde à Paris.

Je vous propose de distinguer deux phases de réflexions et de débats.

La première phase, nous pourrions la qualifier de « DESINTOX », consisterait à mettre tout à plat. Tendons vers la transparence maximale sur tous les faits liés au passé et à l’histoire du nucléaire en Polynésie. Accordons-nous sur les bilans et sur l’état des connaissances historiques et scientifiques. Etudions les modalités d’accès aux archives et aux données. A cet égard l’Etat doit nous apporter les garanties de sa bonne foi.

La deuxième phase doit permettre de déboucher sur une liste de mesures concrètes et une mise en perspective, de sorte à engager l’action dès le lendemain de la table ronde, ainsi que le souhaite le Président Macron.

Pour cette deuxième phase, nous pourrions décliner les travaux en quatre volets : environnement, sanitaire, économique, social.

Les dimensions culturelles et identitaires sous-tendent ces quatre thématiques.

Plus que jamais nous devons nous préparer à faire face aux défis majeurs du monde qui se présente à nous : changements climatiques, basculement des équilibres économiques, dérèglement du marché cognitif mondial, menaces sur les systèmes démocratiques.

Chers Amis, avant de passer la parole (droite), et afin de ne pas occuper inutilement ce temps précieux de notre échange, j’ai mis à votre disposition le communiqué de presse du conseil des ministres du 19 avril 2021 au sujet de l’opération reko tika, ainsi que mon propos de jeudi 6 mai 2021 à l’assemblée de la Polynésie française.

Je termine ce mot d’introduction en vous présentant le délégué coordonnateur de la table ronde pour le Pays, monsieur Joël Allain, que je remercie vivement d’avoir accepté cette responsabilité. Il sera nommé en Conseil des ministres mercredi prochain.

 

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