Protection de l’environnement: les services du Pays aux abonnés absents !

Réuni en assemblée plénière le 15 juillet dernier, le Conseil économique, social, environnemental et culturel (CESEC) a rendu un avis défavorable à la proposition de loi du pays modifiant le code de l’environnement, instaurant une protection générale du vivant en Polynésie française et renforçant les sanctions pénales.
On le sait, la nouvelle majorité Tavini huiraatira s’est fixée comme objectif à l’assemblée de la Polynésie française d’impulser l’action publique en soumettant à l’aval des représentants un certain nombre de propositions de délibération ou de lois du pays. Quitte à marcher sur les plates-bandes du gouvernement Brotherson accusé de ne pas réformer suffisamment vite! Le problème, c’est quand les élus font des plans sur la comète qui, de toutes façons, se solderont par des voeux pieux. L’essentiel, me direz-vous, étant ailleurs puisqu’il s’agit ici de sauver les apparences…
Parmi les textes actuellement dans les tuyaux, il en est un, de portée très généraliste, qui vise à renforcer la protection du patrimoine naturel du fenua. Une fois n’est pas coutume, il est porté par dix neuf représentants signataires (rien que ça !), sans compter les noms de Pierre Térou et Mike Cowan qui n’ont pas eu l’opportunité de parapher le document législatif. Un détail, en passant.
D’emblée, les auteurs de cette initiative collégiale donnent le ton en relevant, par exemple, que « a plus grande richesse de notre pays est sa biodiversité et son patrimoine naturel. Sans cela, il n’y aurait pas, notamment, de tourisme, de perle ou de pêche. En 2016, IFRECOR a estimé entre 360 M€ (près de 43 milliards F CFP) et de 565 M€ (67,4 milliards F CFP), la valeur économique des services rendus par les récifs coralliens et écosystèmes associés du Fenua. Ces chiffres, qui ne concernent que les écosystèmes coralliens, nous donnent une idée de l’importance de notre biodiversité, notamment terrestre. » De quoi alimenter le débat en cours sur la valeur réelle, en monnaie sonnante et trébuchante, de Tahiti et ses îles.
Pas de réponse des services du Pays
Sur le principe le Cesec salue l’initiative des représentants à l’assemblée de la Polynésie française car, à l’en croire, elle « porte une ambition forte et témoigne d’une réelle volonté de progresser vers une meilleure protection de l’environnement ». Mais à bien y regarder, la société civile pointe du doigt de profondes lacunes tant dans la méthode que dans les objectifs recherchés. Car, en effet, si « une consultation a bien été menée auprès de certains acteurs tels que les associations culturelles et de protection de l’environnement ainsi que les différents groupes de l’assemblée ». En revanche, « les services du pays consultés n’auraient pas donné de réponse », souligne le Cesec. Peut-on y voir une forme de défiance ? Ou purement et simplement, un défaut d’intérêt ? Raison pour laquelle le Cesec recommande pour sa part, « une large consultation préalable, notamment les communes et l’État, ainsi que la désignation d’instances ad hoc pour conduire cette consultation, restituer les résultats et en assurer l’évaluation ».
Dans le détail, le texte a de grandes et nobles ambitions. Comme à l’article 2 où on peut lire: « La Polynésie française publie tous les quatre ans, avant le 31 mars, et pour la première fois le 31 mars
2026, un rapport de l’état de son environnement. Ce rapport vise à dresser un panorama complet de l’état de l’environnement, de ses évolutions et des réponses apportées, allant de la présence des polluants dans les milieux naturels à la situation de la biodiversité, en passant par l’empreinte des polynésiens en matière de consommation énergétique ou de déchets ». Beaucoup de travail en perspective pour les services concernés à qui des moyens humains complémentaires devront nécessairement être affectés.
Une atteinte aux libertés fondamentales
En outre, il apparaît que la proposition de texte n’a fait l’objet d’aucune une étude d’impacts formelle relative aux mesures proposées. Pour certains acteurs consultés par le CESEC, « l’absence d’étude d’impacts est d’autant plus regrettable que cette proposition risque de restreindre des libertés fondamentales et d’entraîner de nouvelles obligations, en particulier pour les communes. Il est donné l’exemple de la création d’une zone de préemption sur 100 mètres le long du littoral (article LP 2125-7), combinée à une interdiction stricte de construire dans une bande de 50 mètres à partir du rivage (article LP 2121-3), lorsque le PGA n’existe pas ou n’est pas applicable. Une telle mesure pourrait être considérée comme une restriction excessive au droit de la propriété garanti par l’article 17 de la Déclaration Des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) ».
Rappelons, à toutes fins utiles, que le précédent gouvernement avait déjà renforcé l’arsenal répressif en la matière. Dans un communiqué daté de novembre 2021, on peut ainsi lire: « Adoptée en 2017, la réforme du code de l’environnement polynésien a prévu un certain nombre de sanctions pénales en cas d’infraction. Or, si les peines d’amende sont applicables dès la publication du texte au Journal Officiel de la Polynésie française, les peines d’emprisonnement doivent être homologuées par une loi nationale. C’est enfin le cas pour les peines de prison prévues au code de l’environnement à l’occasion du vote, en août dernier, de la loi nationale sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets. Désormais, outre une amende de 17 800 000 Fcfp, un contrevenant peut encourir une peine de 2 ans de prison pour avoir porté atteinte aux espèces protégées ou pour avoir volontairement importé sans autorisation une espèce vivante en Polynésie française. Autre exemple, le non-respect d’un espace protégé est passible d’une amende de 1 000 000 Fcfp et de 6 mois d’emprisonnement. Dernier exemple, toute pollution impactant les eaux de baignade, les aires de reproduction des animaux et les zones de pêche sont désormais passibles d’une amende de 8 900 000 Fcfp et de 2 ans d’emprisonnement. Avec l’homologation des peines de prison prévues par le code de l’environnement, le Fenua complète son arsenal juridique afin de protéger et gérer de manière durable ses espaces et ses espèces. »
Aussi, vivement que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour d’une prochaine commission législative, en attendant d’être débattu en plénière ! A moins que l’actuel locataire du perchoir ou son homologue de l’ancienne caserne coloniale ne décide, le moment venu, de siffler la fin de la récréation…