L’opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny, est mort vendredi, selon les autorités, dans sa prison de l’Arctique, un décès dont les Occidentaux tiennent les autorités russes pour responsables.

Sa disparition à 47 ans après trois années de détention et un empoisonnement dont il accusait le Kremlin prive une opposition déjà exsangue de sa figure de proue, à un mois de la présidentielle qui doit encore une fois cimenter le pouvoir de Vladimir Poutine après des années de répression de toute contestation.

La femme de l’opposant, Ioulia Navalnaïa, a appelé la communauté internationale à reconnaître que le chef de l’Etat russe est « personnellement responsable » de la mort de son mari.

« Si c’est la vérité, je voudrais que Poutine, tout son personnel, tout son entourage, tout son gouvernement, ses amis, sachent qu’ils seront punis pour ce qu’ils ont fait à notre pays, à ma famille et à mon mari. Ils seront traduits en justice et ce jour viendra bientôt », a-t-elle déclaré en retenant ses larmes à la tribune de la Conférence de Munich.

Le président américain Joe Biden s’est quant à lui dit « scandalisé », accusant Vladimir Poutine d’être « responsable de la mort de Navalny », qui était une « voix puissante pour la vérité ».

Les autorités russes n’ont fourni que peu de détails sur le déroulement des évènements, se limitant à un communiqué lapidaire pour assurer avoir tout fait pour réanimer cet homme, à la santé fragilisée par son empoisonnement et son emprisonnement, après un malaise.

« Le 16 février 2024, dans le centre pénitentiaire N°3, le prisonnier Navalny A.A. s’est senti mal après une promenade et a presque immédiatement perdu connaissance », a dit le FSIN (l’administration pénitentiaire russe) de la région arctique de Iamal, affirmant que les secours avaient tenté de le sauver.

« Tous les gestes de réanimation nécessaires ont été pratiqués mais n’ont pas donné un résultat positif. Les médecins urgentistes ont constaté la mort du patient. Les causes de la mort sont en train d’être établies », a-t-il précisé.

Sa mère, Lioudmila Navalnaïa, a déclaré avoir vu son fils le 12 février dans sa colonie pénitentiaire et qu’il était alors « en bonne santé et d’humeur joyeuse », dans un message sur Facebook cité par le journal indépendant Novaïa Gazeta.

Poutine silencieux 

Alexeï Navalny purgeait une peine de dix-neuf ans de prison pour « extrémisme » dans une colonie reculée de l’Arctique, dans des conditions très difficiles. Les multiples procès qui lui avaient été intentés avaient été largement dénoncés comme étant une manière de le punir pour son opposition à Vladimir Poutine.

Bien qu' »informé », selon son porte-parole Dmitri Peskov, le chef de l’Etat russe, en déplacement dans l’Oural vendredi, est resté silencieux.

Les autorités de Moscou ont de leur côté mis en garde les Russes contre toute manifestation, tandis que des personnes faisaient la queue dans la soirée pour déposer des fleurs dans plusieurs cités russes sur des monuments à la mémoire des dissidents politiques. Des interpellations ont été signalées dans un certain nombre de villes dont la capitale russe par des chaînes Telegram russes spécialisées dans le suivi de la répression des actions de protestation.

Empoisonné en 2020

Selon la politologue russe Tatiana Stanovaïa, la menace qui pesait sur la vie d’Alexeï Navalny était « évidente » depuis son retour en Russie début 2021, sa santé étant minée par des problèmes liés à une grève de la faim en 2021 et à l’empoisonnement dont il avait été victime en 2020 et auquel il avait miraculeusement survécu.

« La question est maintenant de savoir si les autorités vont aller trop loin dans la répression. Si elles agissent par peur et commencent à réprimer durement, elles porteront atteinte à la stabilité et à la solidité du régime », dit-elle à l’AFP.

Dans un film qui lui était consacré sorti en 2022, M. Navalny avait laissé un « testament » aux Russes dans l’éventualité de sa mort, y lançant : « ne vous laissez pas faire ! ».

A l’instar de M. Biden, l’Union européenne considère que « le régime russe » est le « seul responsable », cependant que l’ONU a réclamé la « fin des persécutions » en Russie et que son secrétaire général a demandé une enquête « crédible ».

Le président français Emmanuel Macron a accusé Moscou de « condamner à mort » les « esprits libres » et, pour le chancelier allemand Olaf Scholz, Alexeï Navalny a « payé son courage de sa vie ». Des accusations occidentales « absolument inacceptables », a réagi le Kremlin.

Le dissident russe Oleg Orlov, jugé depuis vendredi pour avoir dénoncé à plusieurs reprises l’assaut contre l’Ukraine, a quant à lui dénoncé « un crime du régime ». « Il est évident pour moi que (Alexeï Navalny) a été tué comme des milliers d’autres qui ont été torturés à mort à cause d’une seule personne, Poutine », a pour sa part lâché le chef de l’Etat ukrainien Volodymyr Zelensky.

« L’espoir est mort » 

A Moscou, des jeunes interrogés par l’AFP était atterrés. Valeria, une guide touristique de 28 ans, estime qu’Alexeï Navalny était « un symbole de l’espoir d’un avenir meilleur ». « J’ai l’impression qu’avec sa mort, cet espoir meurt aussi ».

Dans un message le 1er février diffusé par son équipe, l’opposant avait appelé à des manifestations partout en Russie pendant la présidentielle prévue du 15 au 17 mars qui doit permettre à Vladimir Poutine de se maintenir au pouvoir.

Nombre d’opposants, célèbres ou anonymes, ont été emprisonnés ou poussés à l’exil ces dernières années et la répression s’est encore accrue depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022.

L’un des plus connus d’entre eux est Vladimir Kara-Mourza, qui purge une peine de vingt-cinq ans de privation de liberté et qui a été empoisonné à deux reprises. Il souffre de graves problèmes de santé en détention. D’autres détracteurs de M. Poutine ont été assassinés, comme Boris Nemtsov, tué par balle près du Kremlin en février 2015.

L’opposition compte d’autres figures mais elles se sont exilées, à l’instar de Mikhaïl Khodorkovski, un ancien magnat du pétrole, qui a passé dix ans en prison après s’être opposé à M. Poutine au début des années 2000.

 

 

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