Cannabis thérapeutique: « ne pas légiférer avant d’en avoir largement débattu au sein de notre société »

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Le président de la Polynésie française, Edouard Fritch, accompagné du ministre de la Santé, Jacques Raynal, a prononcé un discours, mardi, à l’occasion de la session d’ouverture du colloque intitulé « Le cannabis en Polynésie : entre justice, Santé, et Economie, une question de Société ». En voici de larges extraits.

Ma présence ici peut vous étonner. Mais, faut-il rappeler que mon gouvernement a engagé une démarche officielle sur ce sujet depuis le 6 avril 2021. Ma démarche auprès de l’Etat fait suite à l’expérimentation lancée par le Ministre Olivier Veran, le 26 mars 2021 sur l’utilisation du cannabis à usage thérapeutique. Ainsi, la première autorité que j’ai saisie fut le Président de la République en personne. Je lui ai « fait part de l’intention de la Polynésie française d’ouvrir la possibilité de la culture du cannabis à usage thérapeutique sur son territoire ».

Par cette manifestation d’intérêt, la Polynésie française rejoint l’initiative autorisée en janvier 2021 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, pour autoriser certains laboratoires à expérimenter le cannabis thérapeutique.

A cet égard, le Président de la République, puis, successivement, Madame Agnès Pannier-Runacher, Ministre Déléguée auprès du Ministre de l’Economie, Olivier Veran, Ministre des Solidarités et de la santé, et enfin le Direction Générale des Entreprises du Ministère de l’Economie, des finances et de la relance économique, m’ont répondu et ont montré un intérêt à notre demande, dans le but d’accroître le développement économique et industriel de la Polynésie ». 

La démarche que nous avons entreprise auprès des plus hautes autorités de l’Etat démontre, si nécessaire, l’intérêt que porte la Polynésie française et mon gouvernement en particulier au développement du cannabis thérapeutique.

Certes, nous n’avons pas claironné sur la place publique cette initiative, contrairement à certains qui étaient tentés d’en faire un dossier de propagande. Nous avons en revanche informé des associations, notamment Tahiti Herb Culture de Karl Anihia, du travail et des démarches engagés.

Pour ma part, je ne souhaite pas politiser ce débat, car le faire ne servirait pas l’objectif que nous recherchons, mais au contraire nous amènerait à prendre le risque de diviser l’opinion, et donc, de ralentir voire de bloquer pour longtemps ce sujet.

Les perspectives dans la mise en place de cette filière de cannabis thérapeutique représentent un défi important et un sujet de société, autant pour moi que pour la majeure partie de notre population.

Les bienfaits thérapeutiques seront nécessairement occultés par le débat mais également parasités par le côté « trafic de stupéfiants » que porte indiscutablement la culture du cannabis. Et la question qui se pose à nous aujourd’hui est bien de savoir comment faire d’un produit stupéfiant interdit, un produit bénéfique pour la santé ? En d’autres termes : comment transformer un mal en un bien ?

C’est pourquoi, du fait qu’il soit devenu un important et nouveau sujet de société, il est utile de prendre le temps nécessaire pour éclairer notre population. Et c’est tout l’intérêt de ce colloque.

Le sujet est éminemment complexe, car il fait appel à plusieurs notions :des notions médicales, des notions morales et des notions économiques.

Ainsi, les partisans ou les détracteurs évoqueront tantôt l’une ou tantôt l’autre de ces notions pour soutenir ou pour repousser le dossier du cannabis thérapeutique.

Vous savez, ce sujet du cannabis thérapeutique me rappelle le débat sur l’avortement, ô combien passionné à l’époque, parce que le sujet était à la fois médical, moral et social. Les uns étaient contre pour des raisons morales et spirituelles, les autres étaient favorables pour des raisons médicales, d’autres évoquaient des raisons de libération de la femme, etc…

Vous vous souvenez, le dossier a provoqué des manifestations de grande ampleur. Madame Simone Veil a été qualifiée par des adjectifs et des insultes les plus horribles. Ce rappel me permet de vous illustrer, à un degré différent certes, combien un sujet de société peut être clivant si dès le départ nous ne posons pas correctement les problématiques.

Certains d’entre nous souhaitent légiférer dès à présent. De mon point de vue, il ne faut rien précipiter. Les législateurs nationaux, députés et sénateurs se sont saisis de ce dossier. De ce fait, nos parlementaires polynésiens, dont Moetai ici présent, sont mieux placés que quiconque pour nous informer sur l’avancement de cette affaire. Aussi, n’ajoutons pas de l’opportunisme politicien sur un sujet de société aussi important et suffisamment complexe.

D’autant que je pense, comme notre député, qu’il ne faut pas légiférer avant d’en avoir largement débattu au sein de notre société. Il est utile de savoir ce que pensent nos associations de familles, nos églises, nos associations de jeunesse, nos maires, nos corps médicaux, nos agriculteurs, etc ? Bref, pour un sujet de société aussi important, il est impératif de lancer des débats publics.

La voie législative ne viendra nécessairement qu’en fin de processus, lorsque nous serons tous suffisamment éclairés sur les avantages et les risques du cannabis thérapeutique.

Aussi, je remercie M. Moetai Brotherson pour cette initiative, car elle enrichit le débat. Elle nous rend service. Elle est parfaitement utile à la démarche enclenchée par notre gouvernement depuis avril 2021.

Je vous disais tantôt que le dossier du cannabis thérapeutique fait également appel à des notions médicales et économiques. A cet égard, les ministres en charge de la santé et de l’agriculture, messieurs Jacques Raynal et Tearii Alpha, se concertent et se coordonnent pour faire avancer concrètement le dossier en définissant la chaîne de travail couvrant l’organisation de la filière de production jusqu’à la production de l’huile essentielle qui sera extraite.

Vous devinez bien que le sujet est complexe car les effets pervers et les dangers qui collent à un tel dossier sont à chaque étape du processus. Nous savons que d’autres pays, dans le monde, nous ont précédés sur cette filière et qu’il y a dans ce domaine beaucoup de dérapages, voire des risques de trafics mafieux.

Il nous revient d’être rigoureux à chaque étape du montage de cette filière. Paradoxalement, l’isolement et la petitesse de nos îles peuvent également être une chance pour nous dans le contrôle et la bonne marche de cette filière. En tout cas, c’est l’espoir que nous formulons.

Je vous remercie.

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