Le Va’a et l’Océan comme symboles de notre statut d’autonomie

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Le président Edouard Fritch, les membres de son gouvernement ainsi que le haut-commissaire Dominique Sorain, ont pris part mercredi matin, à la célébration de l’Autonomie sur le Tahua Tu marama à Papeete.

Après la remise de distinctions de l’ordre de Tahiti Nui, cette 38ème édition a notamment été marquée par l’inauguration de la pirogue double Te Ra Nui Marama – Marama Nui i te Ra, construite à Raiatea par John Rere et ses apprentis.

Le chef de l’exécutif local a également prononcé une allocution que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité.

L’Autonomie est notre fierté. Tous ceux qui ont présidé notre Pays ont bien vu et se sont bien rendu compte que notre Statut nous permet véritablement de nous « gouverner librement et démocratiquement ».

Nos institutions sont polynésiennes et elles sont dirigées par des Polynésiens : je veux parler de L’Assemblée, qui nous représente et vote nos délibérations et nos lois de pays ; le gouvernement qui porte nos compétences et prend les décisions qui nous concernent ; le CESC qui représente la société civile dans la diversité de ses acteurs. L’autonomie est donc une réalité vivante et concrète. Il nous appartient d’utiliser ces outils institutionnels pour le développement et la protection de notre peuple.

Oui, l’Autonomie est un outil qui nous permet de nous épanouir, il nous appartient de faire vivre nos institutions et de leur donner la consistance qu’elles méritent.

Cet outil doit être au service d’un projet de société, au service des valeurs communes que nous voulons partager et respecter, au service d’une culture et d’une identité qui nous ressemblent et qui rassemblent les Polynésiens de tous les archipels.

Notre autonomie nous permet d’être pleinement nous-mêmes. Il nous appartient toutefois d’écrire son avenir et de la faire évoluer pour la rendre plus efficace encore.

Parce que nous sommes pleinement compétents, nous avons beaucoup fait pour la culture de notre Pays, sous l’impulsion déterminante de notre Ministre Heremoana Maamaatuaiahutapu.

Dans quelques jours, nous serons avec le peuple marquisien pour leur matava’a, le festival culturel, qui aura lieu à Fatu Hiva. C’est un moment fort et attendu par toute la communauté marquisienne et au-delà par toute la Polynésie.

Dans quelques mois, toutes les îles Australes tiendront leur festival culturel à Tubuai, après 20 ans de silence. Là aussi, ce sera le grand réveil d’une identité trop longtemps en sommeil. Les Australes toutes entières se préparent à ce rassemblement.

Les Paumotu ne sont pas en reste, puisqu’ils se rassembleront également au travers de plusieurs Farerei Haga.

Oui, l’expression culturelle de l’ensemble de nos archipels se libère ; elle fait preuve de créativité, de dynamisme et de transmission intergénérationnelle.

Nos écoles de danses traditionnelles sont de plus en plus fréquentées, depuis les tout petits jusqu’aux plus grands. Elles sont d’une incroyable richesse et sont le vivier de nos talents d’aujourd’hui et de demain, et de la passion qui animent les groupes dans un esprit de transmission et de partage. Elles sont un signe vivant pour notre jeunesse. Il n’est que de voir le succès grandissant du Hura Tapairu ou encore du Heiva Taurea où vibre notre jeunesse imprégnée de sa culture, désireuse de l’exprimer, fière de la montrer. Le Heiva Taure’a dans les collèges valorise les langues polynésiennes et la culture dans les cours de toutes les disciplines de collège. Les élèves inscrits dans cette action soutiennent un oral comptant pour l’obtention du DNB.

De même, notre Conservatoire est bien fréquenté. Je l’ai visité récemment et j’ai été conquis par son dynamisme et son succès.

Alors OUI, nos chants, nos danses, notre artisanat, sont vivants et leur dynamisme témoigne de cette liberté acquise par l’Autonomie.

Mais nos chants, nos danses, notre artisanat sont aussi des vecteurs de la transmission de nos langues. Tout cela, l’Autonomie nous le permet pleinement.

Désormais, l’enseignement en langues polynésiennes est inscrit dans les écoles, les collèges et les lycées polynésiens. De même, la création des classes et des écoles bilingues Langues polynésiennes et français à parité horaire sont aussi dans les programmes. Ces avancées sont celles de la loi du pays du 11 janvier 2022 qui concerne l’enseignement des langues et de la culture polynésiennes et l’enseignement bilingue français et langues polynésiennes dans les écoles publiques et privées sous contrat avec l’État, dans les centres de jeunes adolescents, et les établissements publics et privés sous contrat avec l’État du second degré de la Polynésie française.

Dans le domaine si important des langues je voudrais aussi mentionner l’ouverture de l’enseignement optionnel ORERO en 2nde, 1ère et Terminale au baccalauréat général. Les notes de cet enseignement comptent pour l’obtention du baccalauréat.

Depuis août 2021 la filière baccalauréat technologique Sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse, base son programme sur les langues et la culture polynésiennes.

Enfin, depuis l’arrêté du 23 septembre 2021, le concours de recrutement des professeurs des écoles, rend obligatoire une épreuve écrite et une épreuve orale en langues polynésiennes (Tahitien, Pa’umotu, Marquisien ou Mangarevien).

Je m’arrêterais là, pour ne citer que les avancées les plus récentes en matière de langues, simplement pour vous montrer le chemin important qui a déjà été parcouru dans ce domaine et qui a été rendu possible grâce à notre Autonomie qui a permis à nos langues de trouver leur place à l’école et dans l’enseignement, y compris à l’université.

Cette année, pour cette fête de l’Autonomie, j’ai voulu revenir à nos fondamentaux. Deux symboles importants qui figurent sur notre drapeau : le Va’a et l’Océan.

Notre culture, nos modes de vie, nos liens à la terre se sont façonnés au fil des siècles par nos liens avec la mer. Nous sommes le Peuple de l’Océan et cet Océan nous a toujours appelé à rester près de lui, à ne pas s’en éloigner et à le protéger.

Le Fenua ne peut pas être séparé de Moana, et vice versa. Ce qui se passe sur terre, va avoir des conséquences sur la mer, et ce que l’on ressent sur la mer, va arriver sur la terre. C’est pourquoi nous avons placé notre Océan au cœur de notre action et de nos préoccupations.

Nous l’avons protégé comme jamais auparavant, en interdisant l’accès de notre ZEE à toutes exploitations étrangères depuis 1996. Nous avons réservé l’exploitation de nos eaux à nos seules compagnies polynésiennes.

En 2002, nous en avons fait le plus grand sanctuaire marin au monde, en protégeant de multiples espèces, dont les requins et les tortues, mais aussi les baleines, les raies mobula, les dauphins et d’autres espèces encore.

La pêche y est règlementée dans un esprit de préservation et d’exploitation durable, qui prend souvent la forme des rahui, cette gestion traditionnelle des ressources, qui se répandent de plus en plus.

La Polynésie française a obtenu, depuis 2018, la certification MSC, délivrée par le Marine Stewardship Council, organisation internationale indépendante, pour le thon germon et le thon à nageoires jaunes, garantissant que ces produits sont issus de filières durables et bien gérées.

Toutes ces mesures prises au fil du temps et récemment ont incité le Gouvernement à créer en 2018, Te Tai Nui Atea, une Aire Marine Gérée sur l’ensemble de notre ZEE.

Nous le faisons parce que nous avons compris que l’Océan est un héritage que nous empruntons à nos enfants et que si nous le pillons, nos enfants ne pourront plus demain s’y nourrir. Ce que nous avons fait sert aujourd’hui d’exemple dans le monde.

L’océan est notre Marae. C’est de lui que nous venons. En le protégeant, nous lui avons redonné sa dimension sacrée, nous lui avons redonné sa place à nos côtés. Et si nous l’avons fait, c’est parce que notre Autonomie nous le permet.

Moana n’est donc pas un obstacle, mais un chemin, une route, un lien entre nous, un espace où l’on vit, où l’on pêche et où l’on voyage. C’est un espace de rencontre, c’est notre patrimoine commun.

C’est ce que rappelle cette grande pirogue double que nous célébrons ensemble aujourd’hui comme le symbole de notre identité, comme le témoignage que nous rendons à nos ancêtres, qui furent de grands navigateurs.

Cette pirogue si elle nous rappelle notre passé, nous dit aussi que le voyage n’est pas terminé. Tant de défis nous attendent encore et ce Va’a nous rappelle que nous les traverserons ensemble, car nous sommes sur la même pirogue, notre Fenua.

C’est pourquoi, pour rappeler d’où nous venons et qui nous sommes, nous avons voulu placer haut et fort, notre symbole de la pirogue sur la Place Tu Marama.

Un grand merci au maire de Taputapuatea et à son conseil municipal. Taputapuatea un nom qui évoque le sacré en lien direct avec notre culture et cette pirogue. Le grand marae d’où sont partis nos ancêtres navigateurs pour peupler le triangle polynésien.

C’est pourquoi j’ai tenu à ce que cette pirogue soit construite là-bas afin qu’elle s’imprègne du Mana de nos ancêtres.

Je voudrais remercier John Rere qui a magnifiquement construit cette pirogue avec ses apprentis ici présents.

Merci aussi à Papa Maraehau le sage de Taputapuatea qui seul peut accorder le « mana et le tura » sur cette pirogue qui porte le nom de Te Ra Nui Marama – Marama Nui i te Ra.

Mes chers compatriotes, en ces temps difficiles et troublés, qui n’épargnent aucun pays dans le monde, ni les plus grands, ni les plus riches, revenons à l’esprit de cette fête, à l’esprit qui anime et guide notre Autonomie. Soyons fiers d’être nous-mêmes, soyons fiers d’être polynésiens, car au-delà de nos divergences et de nos désaccords, c’est ce qui nous rassemble.

Polynésiens nous sommes, Polynésiens nous restons, avec nos différences qui font notre richesse. Et ce qui nous rassemble nous rend heureux. Prenons garde à celles et ceux qui voudraient aujourd’hui réinventer le Polynésien, le rhabiller, décrétant qui le serait, qui ne le serait pas ; ceux qui le serait plus, ceux qui le serait moins. Gardons-nous de faire de notre culture et de notre identité un critère uniquement ethnique.

La Polynésie d’aujourd’hui, celle du 3e millénaire, fière d’elle-même et de ses racines, est une Polynésie moderne, ouverte au monde, qui sait d’où elle vient et où elle va. C’est cela l’esprit de nos ancêtres navigateurs. Ce n’est pas une Polynésie repliée sur elle-même, clivante et fracturant.

Je le dis souvent parce que j’en suis intimement convaincu, ces crises à répétition nous montrent que rien ne sera plus jamais comme avant. L’Autonomie nous invite donc à nous réinventer pour mieux affronter l’avenir. Mais prenons garde, car nous réinventer ce n’est pas réinventer notre Histoire. Nous savons qui nous sommes, il nous appartient de dire ce que nous voulons devenir.

C’est pourquoi, l’Autonomie est un acte de foi : foi en nous-même, foi en l’avenir. A ce titre, c’est un bien précieux qu’il nous faut promouvoir et protéger car il nous offre la chance d’être à la fois pleinement nous-même, tout en étant Français.

L’Autonomie ne peut se concevoir sans cette dualité qui nous caractérise et qui est le fruit de notre Histoire partagée. Elle fait désormais partie de notre réalité, de notre identité. Se sont les deux jambes grâce sur lesquelles nous tenons debout, et grâce auxquelles nous avançons.

En ces temps difficiles de crise et de pandémie, qu’aurions-nous été sans le soutien de l’Etat, présent à nos côtés ? L’esprit de l’Autonomie, c’est donc aussi l’esprit de ce partenariat qui se nourrit d’un respect réciproque et de valeurs partagées de la République dans lesquelles nous nous reconnaissons, tout comme la République nous reconnait.

Je le disais tantôt, notre pirogue nous rappelle que le voyage continue.

Et je voudrais saluer tout particulièrement Monsieur Vaimua Muliava, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui nous honore de sa présence en ce jour de notre Autonomie.

Les Calédoniens sont nos frères dans le Pacifique et pourtant, malgré cela, il faut bien reconnaître que nos relations restent distantes.

Certes, les distances qui séparent Papeete de Nouméa sont considérables, mais elles ne doivent pas être un obstacle à notre rapprochement. Nous partageons tant de points communs, et ce qui nous importe ce n’est pas le passé, c’est l’avenir, car celui-ci nous pouvons encore l’écrire.

C’est à nous, les responsables de nos communautés respectives, qu’il revient de resserrer les liens et de développer nos échanges. Il n’appartient qu’à nous de porter cette ambition, car nos Autonomies respectives nous le permettent. C’est à présent une question de volonté.

Nous avons déjà échangé et nous partageons cette ambition commune, et nous allons poursuivre ces échanges, car nous avons la volonté d’instaurer un marché unique entre nos collectivités francophones dans un avenir proche.

Des discussions plus poussées sont d’ores et déjà organisées entre la délégation conduite par Monsieur Muliava et les directions techniques pour identifier les obstacles et les solutions utiles. C’est notre intérêt commun de nous rapprocher et de donner vie à cette ambition de créer ce marché commun, qui se fera par étapes progressives. Je suis optimiste.

Il n’appartient qu’à nous de donner à notre Autonomie tout son potentiel. Ce combat, celui des Pères de l’Autonomie, est aussi notre héritage et nous en sommes aujourd’hui les dépositaires. Chacune et chacun d’entre nous en est le légataire, nous sommes tous les enfants de l’Autonomie. Elle doit demeurer inscrite dans nos cœurs comme les étoiles le sont au firmament. Ces étoiles qui guidèrent nos ancêtres sur leurs pirogues à travers l’Océan.

Je vous remercie.

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